«Absence d’une vision locale du développement»
Zoubir Sahli. Agro-économiste. Lundi 19 novembre 2012
Les différentes études menées sur la pauvreté en Algérie ont montré que 70% des pauvres résident en milieu rural. Globalement, la pauvreté touche deux fois plus les zones rurales que les zones urbaines. Zoubir Sahli, économiste et spécialiste du monde rural, nous explique dans cet entretien les raisons à l’origine de cette situation.
-Les communes rurales sont les plus défavorisées du pays. Chômage, pauvreté, faiblesse des revenus y sont répandus. Quelle est l’origine de ces difficultés chroniques?
La situation du monde rural algérien est actuellement des plus préoccupantes. La marginalisation et l’exclusion y sont devenues la règle ; la pauvreté, au sens de la non-satisfaction des besoins fondamentaux et sociaux de la population, y est présente désormais presque partout, et le chômage y est encore plus endémique qu’en zone urbaine. Les causes sont évidemment nombreuses. De façon globale, on assiste depuis quelques années à une situation de «pauvreté rurale» qui touche de plus en plus les familles des agriculteurs sans terre, les travailleurs saisonniers, les bergers et les petits éleveurs, les petits et les très petits agriculteurs ayant en moyenne moins de 5 ha (dont les ménages sont constitués de 8 à 10 personnes), ainsi que les personnes et les familles dont le niveau d’éducation, de santé et d’accès à l’eau potable est faible.
Mais la situation de pauvreté s’exprime aujourd’hui surtout par la rareté des ressources et les faibles possibilités d’emploi. On a affaire à un processus de sous-développement économique dû en grande partie à la déstabilisation de la société rurale traditionnelle par les effets de croissance démographique et la réduction drastique des ressources, à la perte des éléments constitutifs des systèmes agraires et la réduction des activités artisanales et rurales. Il faut savoir que la plupart des zones et communes rurales abrite une population nombreuse (environ 40% de la population totale répartie sur plus de 60% des communes) ; une population essentiellement jeune et dynamique (plus de 70% âgés de moins de 30 ans et plus de 60% ayant dépassé le niveau d’études secondaires), mais souvent confrontée à d’importantes difficultés liées en grande partie à la faiblesse des infrastructures de base et à des conditions de vie et d’accès aux commodités et aux opportunités de travail.
Certaines zones rurales sont d’autre part caractérisées par leur dévitalisation et leur dépeuplement suite à un exode rural plus ou moins forcé (terrorisme, sécheresse, chômage, pauvreté…).
D’autres causes comme l’absence de conditions favorables à la décentralisation des décisions qui rendent par ailleurs incertaines et problématiques l’existence «d’un ensemble d’initiatives économiquement viables».
-Les études réalisées sur la pauvreté en Algérie montrent que 70% des pauvres résident en milieu rural. Le monde rural est-il le parent pauvre des stratégies de développement territorial ?
Il est apparu que ce ne sont pas les études, les plans de développement et les investissements financiers qui ont fait défaut pour faire face aux contraintes et aux risques au niveau de l’ensemble des zones et communes rurales algériennes, mais plutôt une stratégie clairement affichée de lutte pour la réduction de la pauvreté et une vision locale du développement. Il s’agit de changer de vision, et surtout d’«inventer» une autre image de l’organisation du monde rural. Il s’agit de mettre enfin en place un plan stratégique qui doit traiter en première urgence les espaces marginalisés et les zones les plus démunies, mais qui doit se déployer de manière harmonieuse et durable à l’ensemble des autres espaces et des autres zones. Il est donc nécessaire d’avoir à mener, parallèlement à la Politique de Renouveau agricole et rurale et dans le cadre du Schéma national d’aménagement du territoire une grande action nationale et un véritable Plan de sauvegarde national pour la préservation et la valorisation locale des ressources naturelles.
Le développement rural, c’est en grande partie une incitation en faveur de la préservation de l’environnement écologique, la protection et la valorisation de l’ensemble des ressources existantes au niveau des espaces ruraux. L’observation des faits et l’ampleur des problèmes nous incitent à considérer que le développement local peut en effet parfaitement constituer un champ important de promotion de méthodes adaptées pour conduire un développement rural local. Le modèle qui sous-tend ce développement reposerait sur :
- la valorisation des ressources locales par les acteurs locaux ;
- l’encouragement à la pluriactivité et la création d’activités non agricoles locales ;
- l’implication totale et soutenue des acteurs locaux, de la société civile et le secteur associatif ;
- l’implication du secteur privé agricole et extra-agricole, à travers essentiellement un maillage important de petites entreprises.
-Le gouvernement a lancé plusieurs programmes de développement destinés à améliorer le niveau de vie des populations rurales. La situation dans les milieux ruraux suggère-t-elle que ces plans ont failli ?
Le monde rural, bien que souvent marginalisé, a focalisé plusieurs fois l’attention des pouvoirs publics en Algérie et a été vu comme un ensemble d’espaces utiles à équiper pour contenir une population rurale nombreuse ayant pour vocation l’exode rural. Ce qui fut fait en grande partie au cours des années glorieuses des plans de développement (notamment à la fin des années 70 et au début des années 80). D’autres programmes locaux (Programmes spéciaux -PSD- et plans communaux de développement - PCD-) et sectoriels (dont les programmes et les actions conduites en direction du secteur agricole) sont venus par la suite compléter le maillage du monde rural.
A partir de 2000, l’Etat a engagé aussi de nombreux programmes de développement agricole et rural et mis en route une Nouvelle stratégie de développement rural durable (SNRD). Une situation intéressante et favorable a commencé avec le lancement du Plan national de développement agricole et rural (PNDAR), qui a été suivi par la Politique de renouveau agricole et rural. Cette approche et ces programmes sont intéressants et prometteurs ; ils ont d’ailleurs commencé à donner des fruits et à contribuer à mobiliser divers acteurs intéressés par le développement rural local (collectivités locales, agriculteurs et éleveurs, jeunes diplômés des instituts et universités agricoles et vétérinaires, entrepreneurs, quelques organisations professionnelles….).
Mais elle reste encore assez peu connue du grand public et surtout assez faiblement portée par l’environnement administratif et institutionnel (encore lourd et bureaucratique). Elle n’est pas non plus confortée par une adhésion massive d’une société civile, elle-même faible et peu active sur le terrain. Auparavant, il y a surtout une politique d’équipement local du milieu rural. Son impact sur le développement économique et social a été relativement faible. Ce type de politique a souvent suscité beaucoup d’interrogations si l’on se réfère à des données objectives sur l’extension de la pauvreté, du chômage et de la précarité sociale.
-Face à ce constat, quels sont les risques auxquels doivent faire face les communes des zones rurales ?
Les processus de dégradation des ressources, de désertification et de perte de la diversité biologique est un risque évident qu’il faudrait inscrire comme un axe stratégique et lui allouer de grandes ressources dans des projets sérieux et durables et non pas en parler uniquement dans les salons et les séminaires. Le risque d’insécurité alimentaire n’est pas à l’ordre du jour, mais la faiblesse des revenus rend les ménages extrêmement inquiets. D’autres risques liés à la santé, à l’habitat rural, notamment à l’habitat précaire et isolé et infrastructures de proximité sont souvent évoqués.
Par ailleurs, l’environnement administratif, technique, économique et institutionnel est partout considéré comme contraignant et peu favorable à une dynamique de développement rural local. Les principales institutions formelles en milieu rural sont celles qui relèvent soit de l’administration classique (administration des collectivités locales — APC et daïras —, administrations techniques, sociales et juridiques), soit celles qui relèvent des organisations traditionnelles et coutumières (djemaa, arch, comités de villages…). Entre les deux, il n’y a aucune passerelle et aucune espèce de dialogue sérieux. Les capacités d’organisation des populations rurales sont globalement faibles Cependant, ces zones disposent néanmoins de quelques atouts.
Il existe un potentiel agricole, sylvicole et pastoral à mettre en valeur et un potentiel touristique typique des zones méditerranéennes (forêts, plans d’eau, montagnes, contrées désertiques, oasis typiques) à explorer et la tendance au développement des activités de services. Toutefois, une des grandes chances des habitants des communes rurales — notamment celles vivant des situations difficiles (en montagne, en piémont, en steppe et en oasis) — est leur tendance à la pluriactivité et à la plurifonctionnalité.
Interview de Mr SAHLI ZOUBIR par Safia Berkouk.
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