Nous entamons ce dossier en y intégrant un très bel article de Mr Omar BESSAOUD. Article que tout étudiant et cadre (du plus "bassittte" au plus haut) devrait avoir sur sa table de chevet...
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L'Agriculture et la paysannerie en Algérie.
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Très bel article de Mr Omar BESSAOUD. Le financement public, s’il peut être un élément décisif de ce progrès doit investir dans l’avenir du plus grand nombre de paysans algériens, et non pas dans le financement quasiment gratuit des investissements de quelques dizaines de milliers d’exploitations, bénéficiant de fait de marchés nationaux très rémunérateurs aujourd’hui, parce qu’il s’agit de produits périssables peu soumis à la concurrence internationale. Il serait illusoire de penser l’avenir de l’agriculture algérienne, uniquement au travers du filtre d’entreprises agro-industrielles virtuellement exportatrices. L’enjeu, peut être plus modeste, mais plus ambitieux à long terme est de valoriser les ressources locales, l’ingéniosité et la force de travail du million de familles paysannes. Elles occupent des territoires locaux, où l’avenir de l’agriculture et l’élevage repose d’abord sur cette fabuleuse capacité de flexibilité et d’adaptation à leur environnement que les éleveurs et agriculteurs des zones semi-arides ont su sauvegarder jusqu’ici.
L’AGRICULTURE ET LA PAYSANNERIE EN ALGERIE
Les grands handicaps*
* Communication au Symposium - Etat des savoirs en sciences sociales et humaines. CRASC-Oran- 20-22 septembre 2004
Omar Bessaoud Enseignant-chercheur CIHEAM-IAM Montpellier
De la période coloniale jusqu’aux récentes décennies d’indépendance algérienne se sont succédées des politiques agricoles orientées vers la mise en valeur des territoires agricoles (des terres du
Tell aux zones arides et désertiques du Sud) vers la modernisation du droit de propriété foncière et des techniques de production agricoles; et ceci pour répondre à trois questions majeures :
- comment développer le potentiel naturel existant et en tirer davantage de richesses ?
- quelle « agronomie » définir pour l’Algérie, à quel modèle technique se référer pour accroître la production et la productivité des sols et des élevages ?
- quelles structures agraires, quel mode d’usage du sol et quelles formes de propriété de la terre promouvoir ?
Les recherches accumulées dans le champs des sciences sociales et humaines (économie, droit, histoire, géographie, sociologie ou anthropologie) ou des sciences agronomiques ont renouvelées ces
interrogations contribuant ainsi à approfondir le débat. Les productions scientifiques post-indépendance sont nombreuses sur ces questions, et nous avons eu l’occasion d’en tracer brièvement les
différentes séquences dans un numéro spécial de la revue Insaniyet (n° 7. Paysans algériens ?).
La récurrence de ces thèmes sur une période historique aussi longue traduit selon nous l’existence de lourds handicaps auxquelles a été confrontés l’agriculture algérienne. Ces handicaps, intiment
liés entre eux relèvent de conditions naturelles, socio-historiques, techniques et politiques.
Le handicap naturel tient aux spécificités climatiques et géographiques qui limitent territoires et productions agricoles.
Le handicap social et historique est lié aux conditions d’émergence d’une paysannerie qui a été fortement contrariée dans les campagnes algériennes. Conquêtes, instabilité politique, colonisation
agraire ont toujours fait obstacle à la formation et à l’installation d’une paysannerie attachée au sol, détentrice de titres permanents de propriété et maîtrisant savoirs et savoirs faire agricoles
transmis de génération en génération.
Le handicap technique renvoie à l’absence de modèles techniques pour les cultures ou l’élevage adaptés aux contraintes de sol, de relief ou de climat.
Le handicap politique est relatif aux politiques et plus particulièrement, aux formes sociales d’organisation de l’agriculture.
Nous voudrions présenter les conclusions de recherche et « ce que nous avons accumulé comme savoirs au cours d’un parcours personnel de recherche de 30 ans, à la fois sur l’agriculture et sur les
paysans algériens, et ceci en en signalant que les conclusions et problématiques que nous proposons à la discussion n’ont épuisé ni leur objet, ni les approches épistémologiques possibles.
Le handicap naturel ou les mythes construits autour des richesses naturelles de l’Algérie et de ses vocations agricoles
L’opinion publique, mais aussi ceux qui ont en charge le secteur agricole partagent l’idée que l’Algérie est favorablement dotée en ressources naturelles. L’histoire de l’Afrique romaine, son rôle
particulier dans les approvisionnements en blé et en huile de la capitale de l’Empire, de même que l’histoire coloniale, sont régulièrement convoqués pour valider cette opinion, largement répandue,
sur les prétendues richesses naturelles de l’Algérie1.
Les auteurs du « Traité pratique d’agriculture coloniale » et de « l’Encyclopédie agricole de l’Afrique du Nord » ( Lecq et RIVIERE ; 1901) dénonçaient en leur temps l’affirmation selon laquelle
l’Algérie bénéficiait d’un climat « incomparable » et d’un sol « d’une fertilité merveilleuse [et] d’une inépuisable fécondité2 » Ils rappellent, à cet effet, les essais et projets agricoles que le
système colonial avaient entrepris qui ont avortés car se nourrissant « d’illusions et de fausses chimères » sur les véritables vocations naturelles de l’Algérie et de l’Afrique du Nord en général.
Nous invitons à redécouvrir les leçons du passé tout ceux qui pensent faire de l’Algérie un pays exportateur ou qui continuent de penser de faire de l’agriculture saharienne « la réserve alimentaire
de l’Algérie ».
En 1949, René Dumont affirmait, après avoir étudié les agricultures du monde, que l’agriculture nord-africaine, du fait de ses conditions agro-climatiques était celle qui posait le plus de problèmes
au technicien3. Il affirmait qu’à l'aube du XIXéme, tant que la population et que les densités étaient faible, il n’y avait pas
1 Le ministre de l’agriculture algérien évoque en permanence la possibilité de développement des exportations agricoles et J.P Tuquoi interviewant des acteurs de la filière et les milieux d’affaires,
dans la Mitidja et à Alger, témoigne de leur optimisme sur le potentiel naturel de l’Algérie ; l’un d’entre eux exprime l’opinion –absurde de notre point de vue- qu’à terme « l’agriculture peut
rapporter autant d’argent que les hydrocarbures ». Le Monde , 1-2 février 2004.
2 Pour nos auteurs « le fameux grenier de Rome est une légende trompeuse » et les appréciations sur l’état des ressources naturelles ont été empreintes d’une « grave erreur » (Lecq et Rivière 1906 a,
p. 3). René Dumont avait remis en cause cette thèse en quantifiant les volumes exportées durant cette période de l’histoire. Compte tenues des techniques de stockage et de transport de l’époque, le “
grenier de Rome ”(l’Afrique du Nord romaine) n’a jamais exporté plus de 800 00 quintaux de grains selon R. Dumont ; in “Evolution récente et perspectives de l’agriculture nord-africaine ”. Institut
d’observation économique ; étude spéciale n°3, mai 1949.
3 Dumont R. (1949), « Evolution récente et perspectives de l’agriculture Nord-africaine ». Institut d’observation économique. Etude spéciale n°3. Paris. 32 p.
de difficultés majeures à exploiter avec profit les ressources naturelles. Les écosystèmes (Tell, steppe et oasis du Sud) qui dominent en Algérie comme d’autres pays méditerranéens sont fragiles, et
la plus grande partie de ces pays restent marqués par l’influence d’un climat sec où l’aridité domine (les zones steppiques couvrent en Algérie près de 20 M d’ha et le Sud laisse peu de place au
peuplement et à la production agricole). Les zones comptant à la fois des précipitations supérieures à 600 mm et des pentes inférieures à 3% ne couvrent au total en Algérie que 500 000 ha. C’est là
une forte contrainte pour l’agriculture qui doit y répondre par une adaptation. Celle-ci avait été réalisée autrefois par l’entretien d’une agriculture de montagne tirant habilement parti des pentes
par l’arboriculture, l’aménagement des terrasses (Aurès), les travaux de haies et talus (Kabylie) et un travail délicat du sol (Côte ; 1978). Ces techniques développées par une paysannerie - certes
faiblement enracinée - ont été abandonnées depuis fort longtemps. De même qu’a reculé l’élevage extensif sur les zones de hautes plaines suite à l’extension des emblavures et la pratique des jachères
labourées.
Le caractère semi-aride de la plus grande partie de la superficie agricole utilisable du pays qui rend très aléatoire les résultats des politiques d’intensification de l’agriculture telles qu’elles
ont été développées en Europe4. Si par certains côté cette question du manque d’eau renvoie à des situations agroclimatiques similaires à celle de l’Australie, la rigueur des hivers dans les
montagnes et les hautes plaines algériennes autant que les chaleurs estivales compromet les récoltes et les rendements à l’hectare; ce climat est encore rendu plus difficile par les irrégularités
saisonnières et inter-annuelles des précipitations et des températures qui déterminent largement les performances obtenues. Ainsi l’année 2003, bien que n’ayant pas disposé d’une pluviométrie
exceptionnelle (350 mm sur la plus grande partie de la superficie cultivée, contre 600 à 800 millimètres, normalement en France) est une année exceptionnelle pour la production du fait d’une très
bonne répartition de ces précipitations par rapport aux cultures céréalières d’hiver (blé et orge) qui occupent les ¾ des terres emblavées.
Devant de telles conditions naturelles il est tentant de recourir à une artificialisation la plus importante possible de cette agriculture, principalement par des équipements hydrauliques permettant
de stocker une partie des précipitations, mais dont les coûts mobilisent des investissements publics importants.
Les conditions agro-climatiques vont ainsi exercer une influence décisive dans la constitution du territoire agricole ; les techniques agricoles n’ont pas apporté de solutions adaptés à ce type de
contexte agro-climatique.
Le handicap technique ou l’absence d’un paradigme technique achevé pour l’agriculture pluviale
Au cours de la période pré-coloniale, il suffit d'identifier une double accumulation dans les domaines agronomiques et des savoirs-faire.
L’agriculture algérienne va bénéficier de l'apport de l'agronomie arabe capitalisée par des savants dans le bassin méditerranéen et appliqué à l'intérieur d'aires principalement localisées en
Andalousie et plus tard au Maghreb ( vers le
4 J.Pluvinage, Les difficultés de l’intensification de l’agriculture en zones sèches maghrébines, ou comment concilier planification de la production et risque climatique. in « un agronome dans son
siècle , actualité de R.Dumont” Karthala, 2003.
16° siècle ). La polyculture, l'acclimatation de nouvelles plantes, l'introduction de la sélection animale vont connaître de nouveaux développements. Les techniques d'irrigation (par gravitation)
vont autoriser l'extension des cultures intensives. De nombreux manuels, des encyclopédies et des livres d'agricultures vont témoigner de cet effort de recherche et de renouvellement des
savoirs-faire paysans du Maghreb à cette époque de l'histoire5. Notons que ces progrès vont se réaliser essentiellement autour des agglomérations urbaines et dans la périphérie des cités
dynastiques50.
Parallèlement, les systèmes extensifs de production céréalière, les techniques d'élevage héritées de la période antique vont poursuivre leur extension avec l'expansion arabe et l'arrivée de nouveaux
contingents de populations nomades et semi-nomades. L'état démographique (avec une faible croissance des populations) associé aux ressources disponibles (vastes étendues de plaines sèches et de
parcours steppiques et semi-steppiques) vont contribuer au maintien de ces systèmes extensifs.
Autrement dit, il y a au cours de ces périodes une sorte de correspondance entre les structures sociales (tribales et communautaires), l'état démographique (faible croissance), la base productive,
d'une part, et d'autre part, les systèmes extensifs d'exploitation des ressources.
A la veille de 1830, deux agricultures cohabitent de manière complémentaire : une agriculture intensive, localisée dans les zones humides, occupant une population paysanne fixée au sol et mobilisant
des savoirs et des principes issues de l'agronomie arabe et/ou antique; et une agriculture extensive, agro-pastorale du point de vue de ses orientations, utilisant un savoir-faire hérité et transmis
de génération en génération de façon tout à fait routinière.
La colonisation française va opérer à l'intérieur de ce système productif des ruptures fondamentales.
La colonisation a “ généré un glissement de l’espace algérien vers le Nord et une forte littoralisation des activités agricoles, une prise en main des plaines littorales, partiellement des hautes
plaines et des bassins de l’intérieur ”51.
La spécialisation des espaces conjuguée à la décollectivisation des terres va entraver les pratiques de complémentarités aux différentes échelles ; la steppe se retrouva ainsi coupé de son arrière
pays naturel et la colonisation opéra la rupture
5 Nous observons au XIXéme siècle un effort particulier de traduction en français de textes et manuels d'agronomie arabes. Des agronomes (Lecq et Rivière) feront l'apologie des principes appliqués
par les paysans du Maghreb et remettent en question la science agronomique coloniale "moderne".
50 Lombard, M ; “ L’islam dans sa première grandeur : VIIé-XIéme siècle ”. Edit. Flammarion. Collection Champs. Paris. 1971. p 68 Ibn Khaldoun a rappelé dans la Muqaddima l’héritage historique
considérable transmis au Maghreb par la péninsule ibérique. « El-Muquaddima. Discours sur l’histoire universelle » Sindbad. t 2. p758-759. Les espagnols sont qualifiés comme « les meilleurs
agriculteurs de tous les pays civilisés », p 753
51 Côte, M (1996). L’Algérie : espace et société. Editions Armand Colin. Chapitre 4. P 30-41. Voir également du même auteur ; Pays, paysages et paysans. CNRS. Paris. 1996. Ce sont ces ruptures qui
ont entraîné de fortes densités démographiques et les déséquilibres entre les formes sociales d’organisation et le milieu naturel ; les montagnes sont contraintes de garder leur croît de population
et les plaines les paysans sans terre, les khammès et autres déracinés des campagnes algériennes.
des rapports économiques qui régissaient le monde de l’agriculture et de l’élevage52.
Des institutions, des élites agricoles représentées par des hauts fonctionnaires de l’agriculture, des professeurs, de droit, d’économie et d’agronomie, des chercheurs et des vulgarisateurs agricoles
vont être les « architectes » des constructions agricoles et des réalisations du secteur colonial53.
Du jardin d'acclimatation crée dès 1844 à Alger, à la création des laboratoires de biologie animale et végétale, en passant par l'ouverture des écoles d'agriculture régionales au début du siècle,
l'Etat français va tenter d’assurer la « conquête scientifique » de l’Algérie et ce fut tout un "outillage intellectuel" (selon l'expression consacrée à l'époque) qui sera mis en place pour assurer
l’essor technique du secteur colonial.
Dès lors, nous assisterons, dans le cadre d’un dualisme agraire à l'émergence, au sein du secteur colonial, d'un nouveau savoir scientifique véhiculant des savoirs-faire et des gestes techniques
spécifiques issues de l’agriculture française. Parallèlement, dans le secteur traditionnel, s’enclenchera un processus de destruction des structures sociales liée à la privatisation foncière,
processus qui contribuera à réduire le champ d'expression des savoirs et des pratiques paysannes. Les connaissances techniques, les qualifications anciennes ainsi que l'essor des compétences se
trouvèrent fortement contrariés.
Le début du XXème siècle est marqué par des transformations qui se réalisent, tant sur le plan démographique que sur les formes de productions existantes, où l’on observe un mouvement de
sédentarisation de la population rurale algérienne. Ces évolutions sociales et économiques, dans un contexte où les contraintes de climat et de sol très sont fortes, vont poser en de nouveaux termes
la problématique du développement technique.
A la fin du XIXème siècle un certain nombre d’agronomes s’accordent à affirmer qu’il y a, compte tenu des contraintes de climat et de sol, une “agrologie spécifique à développer en Afrique du Nord”.
Une tentative de définir un nouveau paradigme technique pour l’agriculture pluviale - et le secteur traditionnel – est entamé par les agronomes « Nord-africains »54 Ces derniers vont être conduit à
formuler de nouvelles questions et à préconiser des solutions techniques de manière très empirique et en établissant le bilan - de ce que Lecq et Rivière appellent les « errements »- dans les
orientations que la colonisation a donné à l’appareil de production agricole algérien 55
52 Boukhoza, M ; in “ Contraintes et mutations du monde rural ” OPU. Alger, 1992
53 Parallèlement aux mouvements littéraires et artistiques qui se développent au début du siècle en Algérie et qui se donnent le nom « d’algériens », le secteur de la recherche et de l’enseignement
en agronomie cristallisent un courant spécifiquement « algérien »(ou nord-africain) .
54 Le terme d’agronomes nord-africains désigne la communauté des agronomes coloniaux d’origine européenne qui travaillait spécifiquement sur les problèmes agronomiques du nord de l’Afrique. Voir à ce
sujet notre contribution « Notes introductives à une brève histoire des institutions et des élites agronomiques coloniales ». Revue du Crasc. n° 5. Oran. Mai-Août 1998.
55 Les agronomes Lecq et Rivière furent les meilleurs représentants de cette agronomie nord-africaine au début du XXème siècle. Voir leurs ouvrages écrits en commun. Lecq (H.) et Rivière (Ch.).
Traité pratique
Le nouveau paradigme technique s’est d’abord appuyée sur la thèse de l’impossibilité d’un transfert mécanique des progrès techniques et/ou des éléments de révolution agricole capitalisés en Europe
depuis le XVIIIème siècle. L’importation de techniques agricoles en Afrique du Nord mises au point ailleurs et dans des conditions certainement plus favorables, était jugée aléatoire et inefficace56.
La définition des nouveaux termes du paradigme technique de l’agriculture pluviale va susciter une série de controverses techniques.
Des agronomes vont déclarer ainsi leur l’opposition aux techniques de labours profonds, à l’introduction de la charrue et aux les essais généralisés d’application du dry farming engagé dès le début
du XXe siècle. Ils font observer justement que ces techniques ont engendrées une agriculture minière fortement consommatrice en humus. Dans les “dures conditions faites à la végétation en ces pays
(Afrique du Nord), un bon labour à la charrue française, trop souvent indiqué et prôné par ceux trop ignorants des difficultés ou des impossibilités du milieu, serait un travail tout à fait
insuffisant pour assurer une récolte dans les années pauvres en pluie; mais de plus, il aurait détruit pour de longues années cette pauvre végétation cependant si utile et qui avait mis des siècles
pour s’implanter dans ce sol” (Lecq et Rivière, 1929) est la conclusion tirée par les agronomes à cette époque-là.
Ces agronomes pensaient que la révolution agricole ne pouvait être réduite à la simple mécanisation, car celle-ci laissait intacte la question liée à la crise de la productivité des sols.
La crise de la céréaliculture marquée par de bas rendements qui se manifesta dès le début du siècle engagèrent également les agronomes coloniaux à élargir le débat sur les méthodes d'intensification
à promouvoir et sur les techniques culturales.
Ils affirmaient assez clairement, qu’en Algérie, la préparation du sol avant l'ensemencement était la première condition à réaliser pour améliorer le rendement des céréale,: ainsi la plante pouvait
supporter plus facilement la sécheresse et mieux se nourrir. Cette amélioration primordiale apportée à la culture des sols assurait la restitution au sol des éléments fertilisants enlevés par les
récoltes antérieures et favorisait l'introduction des variétés de semences nouvelles. L'expérience mise en évidence par les agronomes coloniaux plaidait aussi pour les variétés indigènes, car « elles
jouiss[aient] d'une adaptation séculaire au milieu » et savaient le mieux bénéficier des perfectionnement réalisées dans le domaine des « itinéraires techniques ».
Concernant l’agriculture traditionnelle, les agronomes « nord-africains » se bornaient à recommander quelques innovations de type technique et/ou agronomique : ils conseillent, à titre d’exemple,
l’aménagement hydraulique au profit des cultures vivrières, une meilleure préparation des sols et des récoltes par
d'agriculture pour le Nord de l'Afrique -Algérie, Tunisie, Maroc, Tripolitaine. Société d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales. Paris. 1900. 2ème édition en 1911, 3ème édition de 1929 et
Lecq (H.) et Rivière (Ch.). Encyclopédie agricole : cultures du Midi, de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc publiée par une réunion d’ingénieurs agronomes sous la direction de G. Wery, Librairie J.
B Baillère et fils. Paris. (1906). 2éme édition en 1917 et troisième édition revue et corrigée en 1924.
56 Lecq et Rivière, l’Encyclopédie agricole... Paris.1926.
la substitution d’un instrument perfectionné à l’outillage archaïque encore en usage et enfin le développement des productions fruitières adaptées au climat (olivier, figuier, dattier…). Un accent
particulier était mis sur l’éducation professionnelle des fellahs afin d’améliorer les pratiques agricoles. Toutefois, ils signalent que même si des perfectionnements sont possibles en outillage, en
mode de culture, en cheptel, en améliorations foncières…« ces transformations ne seraient réalisables que très localement »57 .
Les recherches et les expériences agronomiques effectuées par les agronomes depuis le milieu du XXème siècle, ceux réalisés par les agronomes algériens depuis l’indépendance, convergent généralement
vers les mêmes conclusions. Elles tendent à valider et à développer ces références et/ou ces innovations techniques définies il y a plus d’un siècle58.
Le handicap historique ou « la silencieuse glissade de la paysannerie algérienne »59
L'Algérie rurale de l’antiquité jusqu’à la fin du XIXème siècle, était qualifiée de fondamentalement pastorale60.
La tentative historique de Massinissa de sédentariser les populations de son royaume et de créer une base paysanne sera remise en question par la colonisation romaine. En inventant sur les
territoires conquis le système latifundiaire, sur lequel va se développer, sur une échelle relativement large, une main-d’oeuvre servile (esclaves et métayers) - qui préfigurait le prolétariat
agricole du XIXéme-XXéme siècle – la colonisation romaine va entraver un libre essor des rapports paysans. La main d’oeuvre servile n’accumulera ni titres de propriété personnelle, ni moyens de
travail, ni technique agricole pendant la période vandale ou byzantine où l’on assistera à une remontée du nomadisme et du monde agro-pastoral .
Ibn Khaldoun notait qu’à l’opposé des autres pays étrangers, « où la civilisation est villageoise et citadine, comme en Espagne, en Syrie, en Egypte ou dans l’Irak persan »61, à la veille de
l’arrivée des arabes, « la population d’Ifrîkya et du Maghreb est en majorité bédouine. Elle vit sous la tente et se déplace à dos de chameau, ou s’installe dans les montagnes62 ». Il prend soin de
rappeler que « le Maghreb appartenait aux Berbères plusieurs années avant l’Islam » et que « leur
57 Lecq et Rivière, l’Encyclopédie agricole... Paris.1926. Les mêmes conclusions sont tirées par Dumont dans sa contribution déjà citée « Evolution récente… ».
58 Voir à ce sujet les travaux de René Dumont mais aussi, d’une part, les travaux de nouvelles générations d’agronomes français travaillant sur les milieux arides, et d’autre part les travaux
réalisés depuis l’indépendance par les instituts de recherche et de formation algériens (INRA, ITGC, INA…).
59 L’expression est de G. Tillon Tillon; L’Afrique bascule vers l’avenir, «Un paysan aurésien de 1954: Mohand-ou-si-Tayeb , p. 33 et suivantes ; éditions Tirésias- Michel Reynaud, Paris, 1999.
60 De Polybe (-2 siècles av J-C), à Salluste (Ier siécle après J-C) qui mettaient l'accent sur le caractère nomade de l'économie rurale de la Numidie, jusquà A. De Tocqueville ("écrits sur l'Algérie"
de 1841) et A.Berque ("Pour le paysan et l'artisan indigène", 1939) qui constatent le faible attachement des paysans algériens au sol.
61 Et là nous pensons à l’histoire des sociétés asiatiques et au rôle des Etats dans les aménagements hydrauliques.
62 Ibn Khaldun, p 741 « Alors eux-mêmes en pleine phase bédouine, les Arabes qui se fixèrent dans ces pays n'y trouvèrent aucune tradition de culture sédentaire, parce que les autochtones étaient
aussi des Berbères bédouins ».
civilisation était entièrement bédouine »63. Ils n’avaient aucune culture sédentaire, du moins depuis assez longtemps pour atteindre quelque degré de perfectionnement.
Il s’en fallait donc de beaucoup, comme le souligna plus tard G. Marçais, « que les Arabes ait introduit en Berbérie un genre de vie qui y était jusqu’alors inconnu ». Le nomadisme (…) était pratiqué
depuis l’antiquité dans l’Afrique du Nord ». Les Arabes ne firent, tout au plus, qu’augmenter le nombre de nomades64.
Les dynasties berbères et les andalous favoriseront, en rapport avec l’essor urbain, la constitution de sociétés paysannes, détentrices de terres sous le régime du melk individuel ou familial indivis
et maîtrisant les façons culturales et les techniques d’irrigation
S’il est impensable aujourd’hui de définir le monde rural sans accorder à l'agriculture une place privilégiée dans les activités socio-économiques, il est difficile de parler des cités du Maghreb (du
VIIIème siècle à la période coloniale) sans évoquer les activités agricoles des populations paysannes qui l’environnent. Ce sont ces populations qui aménagent et entretiennent les cultures et
plantations des zones périurbaines (jardins irrigués, vergers fruitiers) et celles de l’arrière pays (cultures des céréales, élevage, plantations d’oliviers, dans un périmètre qui dépendait des
conditions historiques et politiques du moment), qui mobilisent les ressources en eau (puits et canaux d’irrigation, machines hydrauliques…), qui exploitent individuellement ou en communauté les sols
(parfois au moyen de contrats d’association avec les populations nomades et semi-nomades des plaines séches), qui approvisionnent les sûqs locaux, celui des autres régions ou des ports (Oran,
Raghgoun, Cherchell, Alger, Dellys, Béjaia, Jijel, Annaba, Skikda ) qui exportent à l’étranger des produits agricoles.
Les travaux des géographes et historiens arabes laissent une impression d'un fort contraste existant entre des campagnes désertées et des centres urbains dynamiques favorisant l'expansion paysanne
dans son périmètre de rayonnement65.
Les sociétés paysannes avec un solide attachement au terroir, une mise en valeur intensive de la terre dans le cadre privé (droit melk) et une forte cohésion sociale resteront, localisées ou
cantonnées dans les espaces agricoles dominés par les
63 La civilisation rurale est "celle qui se rencontre à l'extérieur des villes, dans les montagnes, dans les campements mobiles à la recherche des pâturages, au désert ou aux confins des sables".
Cette civilisation est dominée par des rapports communautaires, la mise en commun des moyens de production et une faible division sociale du travail. Les ruraux, comme les nomades ne visent guère que
la satisfaction des besoins fondamentaux "pour la conservation de leur vie, sans rien de plus".
La civilisation urbaine est celle "qu'on trouve dans les grandes capitales, dans les petites villes, les villages et les hameaux, lieux qui servent de refuge et où l'on peut se protéger derrière les
murailles". La vie citadine est caractérisée par un degré plus avancé de la division du travail, avec l'apparition d'une classe de commerçants aux côtés des artisans, de l'élite intellectuelle et
politique, par un raffinement dans les modes vie et d'habitat; "leurs richesses surpassent en valeur et en étendue celles des gens de la bédouinité car leurs conditions de vie dépassent le strict
nécessaire et leurs moyens d'existence sont en rapport avec leur fortune".
64 Marçais, G ; « La Berbérie musulmane et l’Orient au Moyen-Âge » . Edtions Aubier. Paris. 1946
65 El-Békri ( ?- 1094) in Description de l'Afrique septentrionale (écrit en 1068), édition A. Maisonneuve, Paris, 1965. Al-Idrissi (1099 –1160) in « Le Maghreb au XIIéme siècle de l’hégire-
Nuzhat-al-Mushtaq , traduction de M. Hadj Sadok OPU. Alger. 1983 .
villes (le Fahç), dans certains massifs montagneux (ou fonds de vallées)66 et à l’intérieur des zones oasiennes.
A la veille de la conquête coloniale , les îlots de propriété foncière - privée - n’existent que dans la périphérie de villes ou de cités sièges d’Etats dynastiques - dans certains massifs montagneux
ou les oasis du Sud. Ce sont principalement à l’intérieur de ces zones qu’a évolué une paysannerie enracinée au sol, utilisant selon des méthodes intensives les sols et les ressources en eau,
développant des outils et des techniques de culture adaptés. Les formes communautaires d'appropriation des ressources ont prédominé sur le reste du territoire agricole organisées autour d'activités
pastorales et semi-pastorales (combinant élevage et exploitation extensive de terres céréalières). Hormis les montagnes de tradition melk, la grande partie de l’Algérie du Nord comportait un habitat
semi-dispersé en mechtas; dans les hautes plaines les pasteurs étaient semi-nomades...C’est ce qui fait dire à A.De Tocqueville (1841) que “les arabes ne sont pas fixés solidement au sol”, à un Van
Vollenhoven dans son essai sur e fellah algérien (1902) que “les arabes n’ont aucune aptitude qui leur donne la qualité d’agriculteur”,ou encore à un Pasquier (1960) que « l’algérien du tell semble
bien un paysan malgré lui... Le « vrai paysan », l’homme de la glèbe, le laboureur opiniâtre dont les pensées s’arrêtent depuis toujours aux limites de son champ est un oiseau rare en Algérie67
».
Des tentatives initiées par Napoléon III, dans le cadre du Royaume Arabe68 à celles du Plan de Constantine (1958), créer une classe paysanne, « sédentariser, regrouper, tel a été le maître mot de
l’Etat tout au long du XIXéme et au XXéme siècle69 ». Dans son essai "Pour le paysan et l'artisan indigène" (1939)70,
Augustin Berque, relève que le fait le plus remarquable de l’évolution de la société indigène, après plus de 100 ans de colonisation a été la sédentarisation.
Comme le fait observer J. Dresh, le processus de prolétarisation est si avancé au milieu du XXème siècle qu’il faut aller chercher dans « des recoins les plus reculés et dans les flancs de montagnes
( du Djurdjura et des Aurès) de « vrais paysans »71 . A la fin des années 50, en Algérie, la paysannerie est minoritaire et l’ensemble de la population des agriculteurs est constitué de salariés,
semi-prolétaires et/ou khammès.
Cette évolution expliquerait deux faits fondamentaux :
L’autogestion ou tout au moins les options d’une agriculture collective qui dominent dans les années 1960-1970 d’une part, et d’autre part, l’existence d’une agriculture privée aux bas rendements (6
à 10 quintaux à l’ha) et qui se déploie dans toutes les hautes plaines sèches, sur les piémonts et les zones de montagne.
66 Autour des villes, les terres des banlieues constituaient ce que l’on appelait le fahç, zones de vergers et de cultures maraîchères.
67 A. De Tocqueville (1841-1846) . Ecrits sur l’Algérie. Van Hollenhoven . Essai sur le fellah algérien (1902). G. Pasquier » L’algérien est-il un paysan de vocation »? in ENSA (1960)
68 Lettre de Napoléon III au Maréchal Pélissier in Annie Rey Goldzeiguer « Le Royaume Arabe » Edit. SNED. Alger. 1977. p
69 Cote, M. in l’espace retourné, p138-139
70 Berque A. (1939) : « Pour le paysan et l'artisan indigène" Ed. Minerve.
71 Dresh, J; « La prolétarisation des masses indigènes en Afrique du Nord » in La Méditerranée et le Moyen-Orient t 1, La Méditerranée occidentale, Puf, 1953, voir p 104-105
Cette agriculture est constituée majoritairement de petits (voire moyens) exploitants avec un système de production essentiellement céréalier, extensif, aléatoire avec une occupation du sol ténue,
rudimentaire et sans aménagements importants et « l’impression qui prévaut encore aujourd’hui est le caractère rudimentaire de l’emprise humaine : les systèmes extensifs couvrent les 4/5 de l’espace
»72 .
Il convient enfin de noter, que les politiques agricoles ne parviendront, ni à consolider une agriculture de type collective, ni à favoriser une forme familiale d’organisation agricole.
L’on situe à ce niveau, l’un des facteurs de blocage au développement agricole de l’Algérie actuelle.
Handicap politique et formes sociales de production73
Si des options en faveur d’une agriculture d’Etat triomphent après le recouvrement de l’indépendance, le paradoxe historique veut que 50 ans après le déclenchement de la Révolution algérienne, c’est
la grande entreprise agricole privée qui est promue, et cela au détriment de formes familiales et/ou paysannes d’agriculture30.
Il importe en premier lieu de restituer dans une perspective historique longue l’échec des programmes fonciers, qui ont tous abouti à séparer mode de propriété et mode d’exploitation des terres en
Algérie. Cette séparation a consacré l’irruption de grandes exploitations travaillées -hier dans le cadre du colonat romain ou du système colonial moderne, aujourd’hui dans un cadre étatique
décentralisé - par des salariés ou des fractions non paysannes de la société rurale.
Les tentatives de rupture après l'indépendance (1963-1978) : la période des révolutions agraires.
L’autogestion : du concept à la réalité
Le recouvrement de l’indépendance prend une signification particulière dans le milieu paysan et rural. Les salariés des domaines coloniaux occupent dès Juillet 1962, les terres laissées vacantes
suite au départ des colons, notamment dans les régions les plus riches du pays, et imposeront une forme directe de gestion (« l’autogestion »). Le secteur public dit « autogéré » va ainsi être
organisé sur plus de 2,5 millions d'hectares d'anciennes terres coloniales distribués à quelques 2 200 exploitations publiques (soit une moyenne de plus de 1 000 ha/exploitation). Parmi ces terres,
près de 250 000 hectares sont redistribués en 1966 aux anciens
72 Chaulet, C. 1987 « La terre, les frères et l’argent ». OPU; Alger
73 Cette partie reprend dans ses grandes lignes les analyses d’une publication intitulée « l’agriculture algérienne : des révolutions agraires aux réformes libérales (1963-2002 » éditée in “défis de
l’agriculture en Afrique du Nord et du Moyen Orient”. Editions l’Harmattan, Paris 2002.
30 Tout comme la célébration du Centenaire de la colonisation relevait en 1930 la domination de la grande entreprise capitaliste agricole et l’échec d’une colonisation paysanne.
moudjahiddines31, regroupés dans quelques 350 coopératives agricoles de production74.
L’expérience autogérée ne va fonctionner dans les faits qu’au cours de la campagne agricole 1961-62, car le nouvel Etat national va intervenir dans le contrôle du secteur75. L’autogestion sera très
tôt victime à la fois de l’intervention étatique mais aussi de son héritage colonial. En effet, l'Etat administrera le secteur et placera les domaines agricoles sous la tutelle d’une institution clé
: l’Office National de la Réforme Agraire (ONRA)76.
Ce sont les institutions publiques qui définiront les plans de production annuels, les plans de financement, de commercialisation et fixeront les prix des produits, de sorte qu’elles finiront par
vider de son contenu le concept d’autogestion. Le secteur public (domaines « autogérés » et coopératives agricoles) fournissait à cette époque 75 % de la production agricole brute (le secteur privé
agricole, formé de plus de 600 000 exploitations agricoles, fournissant le reste).
D’autre part, ce secteur dit autogéré semble en fait reproduire le modèle de l’agriculture coloniale, et ceci jusqu’à la fin des années 1960 : il continuait ainsi à assurer l’essentiel des
exportations agricoles sur les marchés extérieurs (vins, agrumes, primeurs) et son système de production restait largement extensif. Il n’employait en 1964/65 que 237 400 travailleurs dont 100 000
saisonniers et les jachères occupaient encore presque 30 % des superficies cultivables.
Le secteur public agricole se trouvera toutefois rapidement confronté à des problèmes de gestion, d’approvisionnement en intrants, de financement, de rémunération de ses produits et de
commercialisation. Se fondant sur l’idée – fausse – que le « secteur public [avait] atteint un certain niveau de progrès technique et de production...»77, les masses d’investissements consenties pour
renouveler le capital productif et les actions de formation et d’encadrement technique, seront trop faibles pour empêcher un processus de décapitalisation (vieillissement du verger, obsolescence du
matériel et des équipements d’irrigation, de drainage…) et de déqualification de la force de travail (90 % des travailleurs sont analphabètes et les plus qualifiés sont affectés à des tâches
d’administration)78.
Il faut rappeler que ce secteur qui hérite du fonds colonial ne bénéficie plus depuis 1962 des soutiens financiers et avantages commerciaux que l’ex-métropole française concédait alors aux colons. De
plus, les débouchés pour ses produits ne sont plus garantis sur le marché français (principal client des produits algériens) et
31 Les anciens moudjahiddines sont les anciens combattants de la guerre d’indépendance.
74 Ces dernières vont bénéficier d’une plus grande autonomie de gestion (et notamment la liberté de commercialiser leurs productions sur le marché privé).
75 Les Décrets de Mars 1963 prévoient une direction bicéphale pour les domaines (président du collectif des travailleurs et directeur nommé par l’administration agricole).
76 Voir Tidafi T. L’agriculture algérienne et ses perspectives de développement . Francois Maspéro. Paris. 1969
77 Déclaration du ministre de l’agriculture en 1966. Cf Tidafi. Ouvrage cité
78 voir notre communication « Formation professionnelle agricole et système productif algérien » présentée au cours international sur « La formation professionnelle agricole et l’espace
Euro-méditerranéen », co-organisé par le CIHEAM-IAMM et l’Ecole Nationale d’Agriculture de Meknès - Meknès (Maroc), du 14 au 18 avril 2003. 17 p
une véritable « crise des exportations » va le frapper sévèrement en 1965. Les stocks de vin non écoulés s'élevaient à 2 millions d'hectolitres en 1963, 16 millions en 1967 et 22 millions en 1968,
ruinant ainsi financièrement les domaines viticoles dans les régions les plus riches du pays, les obligeant à reconvertir dans l’urgence ses sols (arrachage du vignoble de cuve) et à débaucher
massivement de la main-d’oeuvre – souvent la plus expérimentée (près de 23 000 travailleurs permanents entre 1965 et 1968)79.
Pour ce qui concerne le secteur privé, les projets de réforme agraire étant repoussés chaque fois par les pouvoirs politiques, il fait l’objet d’interventions limitées au niveau du crédit agricole et
de l’emploi (chantiers de plein-emploi) dans l’objectif essentiel de lutter contre la pauvreté et la malnutrition.
Ce secteur ne connaîtra de bouleversements significatifs qu’à la promulgation de la loi portant sur la Révolution agraire80.
La réforme agraire et « la nouvelle alliance villes-campagnes »
La réforme agraire algérienne de 1971 s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie d'industrialisation d'un pays qui venait à peine de se soustraire du système colonial.
Dans le schéma de développement national défini par le premier plan de développement (1970-73), l'industrie devait contribuer à moderniser l'agriculture en impulsant le changement technique ; mais
des progrès préalables devaient être réalisés dans les domaines de l'organisation de la production agricole et des structures foncières au moyen d'une réforme agraire.
Il faut rappeler que les structures foncières héritées de la colonisation avaient été marquées jusque-là par un dualisme très accentué. Ainsi, à la veille de la réforme agraire, un peu moins de 2 %
des propriétaires fonciers (disposant de plus de 100 hectares) concentraient près du quart des terres (23 % exactement), alors qu'à l'autre pôle, les deux tiers (69 %) des exploitants des terres de
moins de 10 hectares se partageaient à peine 18,7 % des terres agricoles. Les rentes de location tirées par la propriété absentéiste étaient évaluées au 1/10ème du produit brut agricole du secteur
privé, soit 500 millions de DA81.
L'objectif explicite de la réforme agraire était donc, d'une part, de répartir la terre au profit des paysans sans terre ou de petits paysans insuffisamment pourvus, et, d'autre part, de modifier les
conditions de production en apportant des aménagements dans les formes d'organisation du travail et dans l'environnement agricole.
79 Source : Rapport sur les revenus dans le secteur agricole. Secrétariat d’Etat au Plan. Juin 1977.Voir notre étude Evolution de l'ensemble productif agricole et besoins alimentaires de l'Algérie in
Revue du CENEAP. Alger. 1985.
80 Charte de la Révolution Agraire et Ordonnance du 8 novembre 1971.
81 Voir Tifadi T. ouvrage déjà cité
Après seulement trois années d’application (1972-1975), les résultats furent assez décevants. La réforme agraire récupère un peu plus de 1 million de terres publiques (communales, domaniales et arch)
et nationalise à peine 500 000 hectares, soit moins de 9 % du total des terres rattachées juridiquement au secteur privé 82. Les salariés agricoles et des paysans prolétarisés ont constitué la
majorité de la population des bénéficiaires (près de 100 000).
Plus de 6 000 coopératives de différents types ont été créées mais c'est la « coopérative de production de la révolution agraire » (CAPRA), forme de coopération la plus élevée qui a été privilégiée.
Cette forme coopérative a occupé plus de 80 % de la SAU attribuée et concentré près de deux tiers (65 %) des bénéficiaires des terres de la réforme agraire. Les défenseurs du projet industriel de
l'Algérie considéraient à cette époque que seules les formes collectives de production présentaient à la fois l'avantage de réaliser des économies d'échelle et la constitution de débouchés pour
l'industrie. Cette vision « urbano-industrielle » se doublait d'une volonté de contrôle économique et social de l'agriculture par l'Etat, de sorte que le secteur coopératif de la réforme agraire a
fini progressivement par se confondre avec le secteur agricole d'Etat qui existait.
Même si nous assistons par ailleurs, au cours de la décennie 1970 à une forte progression de la demande de l'agriculture à l'industrie (l'agriculture améliore son équipement et enregistre une
augmentation annuelle de 10 % pour les consommations d'engrais entre 1970 et 1980)83, le constat établi au plan technique, révélait que peu de changements avaient été introduits. Les expériences
d'intensification furent limitées et, faute de soutien institutionnel (vulgarisation, formation agricole) et d'innovations techniques, les coopératives seront amenées à reconduire les systèmes
antérieurs de production.
Mais c’est dans l'ordre social et politique des campagnes algériennes que la réforme agraire a impulsé le plus de bouleversements. Au cours de cette période, la grande propriété terrienne, qui tenait
ses titres fonciers de la colonisation, a perdu une partie de ses assises foncières et de son influence politique dans les campagnes. L'emprise des citadins sur les terres a été remise en cause du
fait de l’interdiction de l’absentéisme84.
Un réseau décentralisé de coopératives de services (plus de 750 coopératives agricoles polyvalentes communales de services) distribuant les intrants et les services à des prix soutenus a ralenti,
sinon bloqué, le processus de dégradation de la condition économique des paysans observé auparavant.
La réforme agraire de 1971 a eu également un impact décisif, à la fois sur l'amélioration des niveaux de vie des populations paysannes et sur l'équipement socioculturel du monde rural .Les campagnes
ont bénéficié au cours de cette période d'importants programmes d'investissement dans l'habitat rural, les équipements socio-culturels et l'électrification41.
82 Le bilan des nationalisations établi fin 1975 faisait état de 21 826 propriétaires dont les terres ont été nationalisées (soit à peine 2 % du total de propriétaires recensés) et 537 167 hectares
versés au « Fonds National de la Réforme Agraire ». Les recours exercés ramèneront ces surfaces à 500 000 hectares environ.
83 Le nombre de tracteurs passe de 25 122 en 1973 à 33 866 en 1978 et 60 000 en 1984. Celui des moissonneuses-batteuses passe de 2 040 1966, 4 000 en 1973 et 5 200 en 1978.
84 Au nom du principe que la terre était celui à celui qui la travaille, la RA de 1971 énonçait que nul ne pouvait posséder ou exploiter une terre s’il ne la travaillait pas directement et
personnellement.
41 Voir le bilan sur le développement rural établi par le CENEAP en 1992.
Un ensemble de contraintes apparues dès 1976 va entraîner un ralentissement du rythme d’application de la réforme agraire, avant de donner lieu à son arrêt en 1980.
Les raisons de cette remise en question de la réforme agraire de 1971 se situent à plusieurs niveaux.
Tout d’abord, l’industrie locale sera confrontée à des problèmes de maîtrise technologiques, d'approvisionnements en intrants, de contrôle des process de fabrication des produits etc, et ne pourra
approvisionner le secteur d’Etat (formé dorénavant du « secteur autogéré » et du « secteur de la réforme agraire »). Ainsi, le rythme d’application des mesures liées à la réforme agraire s’en
trouvera sensiblement affecté.
Ensuite, les freins à la réforme agraire résultaient d’une « crise des approvisionnements urbains » en produits agricoles qui se manifesta dès le milieu des années 1970. Cette crise s’est développée
à la suite de la nationalisation du commerce de gros des fruits et légumes (octobre 1974) effectuée, faut-il le rappeler, dans une conjoncture marquée par une explosion de la demande interne en
produits agricoles. La hausse de la demande en biens agricoles était très fortement liée à la croissance urbaine, à l'emploi non agricole et à l'amélioration des revenus salariaux consécutifs à la
mise en oeuvre des plans de développement industriels (1970-73 et 1974-77). La réforme du système de commercialisation qui intervient donc en 1974 fut suivie par une « grève des livraisons » qui
désorganisa les approvisionnements des villes. Les conséquences concrètes de cette grève fut la diminution brutale de l’offre agricole, la généralisation des pénuries entraînant une hausse des prix à
la consommation et un mécontentement des classes urbaines qui relâchèrent ainsi leur soutien à la réforme agraire, rendue responsable de cette situation.
Enfin, ces difficultés conjuguées aux oppositions politiques ouvertement déclarées inciteront l'Etat à introduire, après une période de pause (1975-78)42 et de débats sur l'avenir du secteur (1978),
un certain nombre de réformes qui feront une plus grande place aux mécanismes du marché et au secteur privé.
Le processus de libéralisation du secteur agricole dans les années1980 et les réformes de structures du programme d’ajustement agricole de la décennie 1990
Ce processus se déroule sur une période relativement longue. Il est mis en application par les pouvoirs publics algériens dès l’arrêt des opérations de réforme agraire (1976) et il s’accélère dans
les années 1980.
Le processus de réformes libérales
Les premières réformes interviennent au sein du secteur commercial, considéré à l'époque comme le maillon faible de l'ancienne politique de réforme agraire.
Les offices et les coopératives perdent, dès 1976, le monopole de la commer-cialisation des produits agricoles. Des mesures sont prises pour mettre un terme
42 Pause marquée par le non engagement de la phase qui concernait nationalisation des troupeaux des grands éleveurs et la réorganisation des parcours steppiques.
aux nationalisations des terres privées, pour « sécuriser » et encourager les propriétaires privés à accroître leurs productions. Dans le même temps, une réforme du crédit agricole est introduite
afin de réviser, au profit du secteur privé, les modalités d'octroi des crédits.
Enfin, les prix des services se trouvent libérés progressivement. Ceux des matériels agricoles sont multipliés dans les années 1980 par 3,5, tandis que les prix des engrais et des produits
phytosanitaires (PPS) le sont par 3. De façon générale, tous les prix des produits intermédiaires connaissent des augmentations importantes (film plastique, semences, outillage agricole...). Sous
l’effet de l’augmentation des prix, la consommation d’engrais est passée en évolution indiciaire de l’indice 100 en 1986 à l’indice 20 en 1996 (divisée par 5), les PPS de 100 à 16 au cours de la même
période ! Les achats de tracteurs et de moissonneuses-batteuses chuteront brutalement et les agriculteurs auront du mal à renouveler le capital fixe du secteur agricole.
Mais, au-delà de ces mesures de libéralisation des marchés, ce sont les réformes de structures qui retiennent le plus l’attention.
L’évolution des structures agraires et le statut du secteur privé agricole
La question de la redistribution des terres posée par la RA de 1971 est « neutralisée» par la promulgation en 1983 de la loi d'accession à la propriété foncière (APFA) qui autorise l’accès en pleine
propriété de terres - de statut public- préalablement mises en valeur dans le Sud 43. Cette loi opère un choix implicite favorable à la forme « entreprise privée agricole » contrôlée en partie par
des fractions non agricoles d’entrepreneurs issus du monde urbain.
En outre, un processus de restructuration des domaines agricoles publics est engagé au cours de l'année 1981. Ainsi, un peu plus de 2 000 domaines dits « autogérés » seront éclatés en 3 400 «
domaines agricoles socialistes » (D.A.S). Leur encadrement est renforcé en personnel technique (ingénieurs agronomes, chargés de gestion) et des programmes d’investissements sont mis en oeuvre.
Cependant alors que la réorganisation des domaines publics commençait à porter ses fruits (les domaines agricoles enregistrent au cours de la campagne 1986-87, un solde positif de leur compte
d’exploitation pour la première fois depuis leur création), une nouvelle réforme du secteur public agricole est imposée en 1987. – En Juillet 1987, et avant même qu’une loi ne soit adoptée, les
terres du domaine privé de l’Etat – 2,8 millions d’hectares - ont été attribuées en jouissance perpétuelle aux salariés en place leur accordant le statut « d’exploitants agricoles »44. Ces terres
seront dorénavant gérées sous forme d’exploitations agricoles collectives (EAC) ou d’exploitations agricoles individuelles (EAI). L’innovation juridique introduite était la séparation entre le droit
de propriété (le droit sur le sol appartient à l’Etat) et le droit d’exploitation (droit portant sur l’ensemble des actifs agricoles et qui est transféré aux exploitants bénéficiaires).
Les DAS, créés au début des années 80, sont ainsi dissous à leur tour, et leur capital d’exploitation est cédé en pleine propriété à 29 556 exploitation agricoles collectives (EAC), 22 206
exploitations agricoles individuelles (EAI) et 165 fermes pilotes. Une loi d’orientation foncière (loi 90-25 ) parachève en 1990 le nouvel édifice juridique d’inspiration libérale ; elle engage les
bénéficiaires de la réforme agraire à restituer les terres nationalisées 15 ans avant.
43 Cf loi n° 83-18 du 13 août 1983, relative à l'accession à la propriété foncière agricole (APFA).
44 La loi 87-19 ne sera adopté par le parlement qu’en Novembre 1987
Ces réformes foncières ont ouvert la voie à une privatisation de fait du domaine public agricole. Les exploitants titulaires de lots collectifs de terres publiques (EAC) ont engagé un processus de
redistribution individuels de leurs quotes-parts. Des « exploitants collectifs ou individuels » se sont associés avec des apporteurs de capitaux (commerçants et bailleurs de fonds privés), d’autres
ont vendu leurs actifs et/ou cédé leurs droits d’exploitation, d’autres ont transféré à leurs ascendants ou à leurs descendants leur part, d’autres enfin ont abandonné leurs droits et laissé en
déshérence les terres attribuées… Tous ces faits témoignent de l’existence de véritables transactions portant sur les droits d’exploitation dont les règles obéissent aujourd’hui aux lois d’un marché
informel. Les coûts de ces transactions sont élevés et, ni la puissance publique qui ne contrôle plus son patrimoine, ni les producteurs réels qui agissent dans un cadre juridique non réglementé, ni
les consommateurs qui payent les surcoûts induits par ces transactions ne gagnent dans le fonctionnement d’un tel marché foncier
Le dernier recensement de 2001 dénombre 1 0240137 exploitations privées (dont 737 972 sont situées dans les départements du Nord du pays)45. La surface moyenne par exploitation est proche de 5 ha.
Les terres melk sont exploitées ou gérées par le droit musulman (cf. règles d’héritage et de succession, droit de chafaâ,…). Les modes de faire-valoir ne sont plus soumis à des conditionnalités
particulières (la loi de réforme agraire interdisait le faire valoir indirect). Le régime juridique de ces terres conjugué aux évolutions démographiques, a accentué le processus de morcellement des
exploitations et d’extension du micro-fundisme préjudiciables au progrès technique et à l’augmentation de la productivité du travail dans l’agriculture algérienne.
A la fin de la décennie 1990, les structures agraires se présentaient ainsi de la façon suivante :
Tableau : Etat des structures agraires (1999)
Statut juridique
Effectif
Superficie totale
(ha)
Superficie moyen.(ha)
Propriétés privées
903 000
4 700 000
5,20
Attributions APFA
70 593
119 477
1,69
S/t domaine privé
973 593
4 819 477
4,95
EAC
29 556
1 839 163
62,23
EAI
22 206
220 285
9,92
S/t EAC-EAI
51 762
2 059 448
39,79
Fermes pilotes
165
138 500
839,40
Autres statut (terres publiques)
38 876
513 328
13,25
S/t domaine public
90 803
2 713 276
29,90
Total général
1 064 396
7 527 753
7,08
Source : CNES
45 Premières données du recensement général de l’agriculture 2001.
Sous l’impact des réformes structurelles et de la politique des prix46, les conditions matérielles et sociales des petits exploitants (qui forment l’immense majorité dans les campagnes algériennes)
se sont sans doute détériorées. Les déficits enregistrés sur les productions stratégiques (céréales, lait) se sont maintenus, et si l’on a observé un accroissement de spéculations à caractère
commercial (fruits frais, légumes, viandes), la question des rendements et de la productivité du sol est restée entière 47. En outre, si l’ensemble des importations alimentaires a eu tendance à
baisser depuis l’accord de stand-by, sa part dans le total des importations a augmenté (25 % en 1985, 30 % en 1995 et plus de 31 % en 1998).
Les réformes agricoles libérales engagées à la fin des années 1980, avec la création des exploitations agricoles collectives (EAC) et des exploitations agricoles individuelles (EAI) n’ont pas apporté
de solutions viables dans ce domaine. Les évolutions démographiques, la remise en cause de la réforme agraire de 1971 conjuguées à l’absence de stratégie globale de développement – et
d’industrialisation – ont ces dernières années, obligé les campagnes à garder leur croît de population, aggravant par-là même l’état des structures agraires. Les enquêtes montrent que près de 80 %
des exploitations possèdent moins de 10 ha et la superficie moyenne par exploitation est de 4,7 ha. Ces structures agraires, dominées par des exploitations de taille réduite réactivent l’exigence de
réformes foncières visant à améliorer les dotations en terre et/ou en capital des agriculteurs insuffisamment pourvus.
L’enlisement des réformes agricoles au cours des années 1994-1999 a conduit les pouvoirs publics à élaborer un programme national de développement agricole (PNDA) à partir de 2000. Si le nouveau
programme agricole n’opère pas de rupture avec le cadre économique libéralisé défini au début des années 1980, il participe d’une part, à une réhabilitation des fonctions régulatrices de l’Etat et
relance, d’autre part, le processus d’investissement interrompu en 1986.
Le PNDA (2000) ou le retour de l’Etat
Le programme national de développement agricole (PNDA) affiche ainsi des actions de grande ampleur. La reconversion des sols, qui est l’opération la plus importante, puisqu’elle porte sur plus de 3
millions d’hectares - et 740 000 ha dans une première phase - vise à concentrer la production de céréales dans les zones dites favorables (1,2 millions d’hectares) et la reconversion, dans les
régions sèches et soumises à l’aridité, des cultures dédiées actuellement aux céréales au profit de l’arboriculture rustique, de la viticulture et des petits élevages. Le développement des filières
(céréales, lait, pomme de terre,
46 Lorsque intervient, en avril 1994, la signature de l’accord « stand-by » avec le FMI, l’Algérie avait pratiquement achevé son plan d’ajustement structurel agricole. Au plan économique, les prix et
les échanges sur la quasi-totalité des produits et des intrants agricoles étaient régulés par le marché et il n’y avait plus que le lait qui était subventionné pour la consommation, subvention
éliminée en 2001. Quant au soutien des prix à la production, il est limité au blé et aux légumes secs, à la pomme de terre de semence, au lait cru et à la tomate industrielle…
47 Les rendements de blé, de l'ordre de 7 qx/ha, n'ont pas évolué depuis des décennies et restent les plus bas de la région méditerranéenne. Les rendements moyens de la pomme de terre (100 à 120
qx/ha), des agrumes (700 qx/ha), de l'olivier (0,7 T/ha), des fruits à noyaux (2,3 T/ha) ou à pépins (3 T/ha) et des raisins de cuve (1,2 T/ha) sont très faibles par rapport aux pays voisins et aux
possibilités techniques socialement disponibles.
arboriculture), autre axe du PNDA, se fixe de multiplier le rendement des cultures et la productivité du travail dans les prochaines années. Des actions de mise en valeur par les concessions de
terres sont définies pour les zones de montagnes, de piémonts, les terres steppiques et les zones sahariennes. Enfin le programme national de reboisement concerne 1,2 million d’hectares (pour hisser
le taux de boisement de l’Algérie du Nord de 11% à 14%). L’objectif final fixé par l’ensemble de ces actions est de reconfigurer le territoire agricole hérité de la colonisation – qui opérait une
discrimination entre une Algérie agricole utile et le reste du territoire -, territoire qui est en inadéquation avec les évolutions de l'Algérie au cours de ces quarante dernières années. Il affiche
enfin l’amélioration des revenus des agriculteurs via des soutiens financiers (à la culture des blés, à l’irrigation, aux actions de plantations, à la mise en valeur, à l’utilisation des biens
favorisant l’intensification…).
Ce programme est financé par le Fonds National de Régulation et de Développement Agricole qui a investi depuis la campagne agricole 2000/2001, en moyenne plus de 40 milliards de DA/an soit 4 fois
plus que la moyenne d’investissement au cours des années 1995-98 et 10 fois plus qu’au cours de la campagne agricole 1993/94, année qui marque l’arrêt brutal des investissements publics sous l’effet
du PASA.
Le modèle d’organisation sociale de la production auquel fait référence le PNDA est celui d’une entreprise agricole, très éloigné de la réalité sociale des 950 000 ménages agricoles qui constituent «
la paysannerie algérienne ». Le dispositif d’octroi des subventions, des prêts bancaires ou des appuis techniques est inaccessible à l’immense majorité des petits agriculteurs –non titulaires de
titres de propriété et d’actes authentiques exigés par les organismes de crédit-. Ces derniers ne maîtrisent ni les circuits administratifs, ni les procédures de formulation des projets, ni les
organisations agricoles et autres structures de représentation de la profession agricole .
Les actions de développement rural initiées au cours de cette dernière période dans le cadre de programmes de proximité de développement rural (PPDR) tentent aujourd’hui de contourner cette
difficulté majeure48.
En conclusion…quelle stratégie pour surmonter les grands handicaps ?
Les moyens financiers mobilisés jusqu’à présent, de même que les modalités d’organisation de la recherche n’ont toujours pas permis une accumulation – sinon une capitalisation – des recherches
orientées vers un développement agricole durable. Les référentiels techniques essentiels pour lever les verrous qui s’opposent à l’accroissement de la productivité des sols ne sont pas rigoureusement
définis, ni dans les zones concernées par la reconversion des cultures, ni dans celles impliquées par les actions d’intensification des céréales.
Le dispositif d’aide aux exploitations agricoles a souvent été détourné au profit de réseaux d’une clientèle politique (non agricole souvent), très active dès lors qu’il s’agit de capter des
ressources financières publiques dont les montants sont
48 A la suite de l’adoption au cours de l’été 2003 du document “stratégie de développement rural”, le PNDA s’intitule officiellement Plan national de développement agricole et rural (PNDAR)
parfois considérables (de l’ordre de plusieurs millions de dinars algériens pour certain projets). Par ailleurs, les réalisations du PNDA ont été largement dépendantes des importations d’intrants et
de matériel d’équipements agricoles (de matériel d’irrigation, de cheptel, de plants fruitiers…). De nombreuses sociétés d’importation et de services se sont greffés sur ce programme pour réaliser
leurs chiffres d’affaires et prospérer sans prise de risques49.
Un bilan objectif qui reste à établir sur la base de statistiques fiables conduirait certainement à relativiser l’euphorie produite par les résultats affichés par le PNDA, et à poser en termes plus
réalistes la question du développement durable de l’agriculture algérienne.
Le niveau de la production en céréales de l’année 2003 a déjà été atteint dans le passé par celui de 1996 avec près de 5 M de tonnes ; toutefois l’année suivante ,1997, année climatique
catastrophique, la production plafonne à 1 M de tonnes ! Quand on fait une analyse rétrospective on trouve en moyenne une très bonne année similaire à 1996 et 2003, tous les 10 ans, et une aussi …une
année catastrophique comme 1997 dans la même proportion.
Les progrès manifestes qui ont été enregistrés sur plusieurs années en production légumières, reposent sur l’hydraulique agricole et l’économie de la ressource (irrigation au goutte à goutte); la question centrale est alors de connaître les réserves hydraulique encore disponibles, en général, et pour l’agriculture en particulier. Si l’on considère que l’ensemble des réserves mobilisables est limité par les précipitations qui peuvent les reconstituer, on peut estimer que l’on atteint déjà un plafond (600 000 hectares environ de terres irrigables), compte tenu du fait que les besoins actuels pour les villes souffrant de pénuries d’eau devraient dans l’avenir absorber toute les ressources supplémentaires ; si on imagine que des ressources sahariennes (nappes d’eau profondes très peu renouvelables) pourraient être largement utilisées comme le pense les pouvoirs publics et les bénéficiaires des programmes de mise en valeur du Sud, cela permet de…rêver. En effet les difficultés techniques de l’utilisation de telles ressources sont très grandes (taux de salinité, etc.), et par définition il s’agit d’une ressource non renouvelable, dont l’utilisation mal maîtrisée peut stériliser définitivement des surfaces agricoles.
Ainsi, penser que l’agriculture algérienne pourrait se positionner en pays exportateur de fruits et légumes, comme cela a été le cas dans le passé (colonial) est très largement illusoire à des
exceptions près (les dattes de type Deglet Nour, et à un moindre degré la viticulture pour laquelle l’Algérie dispose à la fois de bonnes conditions agroécologiques et de terroirs réputés)50.
49 Il faut aujourd’hui l’équivalent de 600 quintaux de blé dur pour acheter un tracteur de 60 CV, contre 350 à l’automne 1990. Autre exemple : pour acquérir une vache laitière de race spécialisée,
importée, il faut aujourd’hui disposer d’une valeur équivalente à 50000 litres de lait contre 10000 litres à l’automne 1990. On comprend bien alors que la modernisation devenue inabordable pour les
familles paysannes, est une source de revenus et de profits pour les exportateurs européens et les firmes qui font du commerce des intrants.
50 Et bien sûr sous réserve de réaliser la révolution des cépages et d’introduire des innovations techniques dans la vinification et la commercialisation du vin pour tenir compte des évolutions
enregistrées dans la filière et sur les marchés mondiaux.
La stratégie essentielle pour sauver les campagnes algériennes et les 13 millions de personnes qui y vivent, repose en partie sur une amélioration d’une agriculture sèche diversifiée, combinant dans
les mêmes exploitations agricoles productions végétales et animales. Cela permet à la fois de bénéficier des prix rémunérateurs des produits animaux en minimisant les conséquences des risques
climatiques et économiques51.
Ceci peut être réalisé en conduisant une intensification progressive des cultures, la plus autonome possible par rapport aux intrants industriels ou importés ; les bases techniques en sont connues,
même si elles ne sont pas toujours mises en avant comme facteur de progrès, et insuffisamment travaillées à ce jour. Dans un contexte national marqué par une sous-industrialisation, cela nécessite,
une orientation technologique et politique claire encourageant des productions consommatrices de main d’oeuvre plutôt que celui des productions à base de hauts niveaux d’équipements importés. Ceci
est réalisable dans des exploitations agricoles paysannes, combinant souvent agriculture et autres activités. Il est évident enfin que cette agriculture ne pourra pas non plus se développer, voir se
maintenir, dans un contexte de libéralisme extrême et d’absence de protection économique aux frontières52.
Le financement public, s’il peut être un élément décisif de ce progrès doit investir dans l’avenir du plus grand nombre de paysans algériens, et non pas dans le financement quasiment gratuit
des investissements de quelques dizaines de milliers d’exploitations, bénéficiant de fait de marchés nationaux très rémunérateurs aujourd’hui, parce qu’il s’agit de produits périssables peu soumis à
la concurrence internationale. Il serait illusoire de penser l’avenir de l’agriculture algérienne, uniquement au travers du filtre d’entreprises agro-industrielles virtuellement exportatrices.
L’enjeu, peut être plus modeste, mais plus ambitieux à long terme est de valoriser les ressources locales, l’ingéniosité et la force de travail du million de familles paysannes. Elles occupent des
territoires locaux, où l’avenir de l’agriculture et l’élevage repose d’abord sur cette fabuleuse capacité de flexibilité et d’adaptation à leur environnement que les éleveurs et agriculteurs des
zones semi-arides ont su sauvegarder jusqu’ici.
Le règlement définitif de la question foncière des terres héritées de la colonisation et de la période qui lui a succédé, bloque le développement d’une vision de long terme pour l’investissement
productif ; le statut de la terre agricole, patrimoine national public loué officiellement à des acteurs individuels ou collectifs ou privatisé, nécessite une clarification définitive. Aussi, il
convient de mettre fin au processus de dépeçage du fonds foncier de l’Etat amorcé à la faveur de la loi de 1987, et qui a été accéléré à la faveur des années de grandes difficultés des années 199053.
Les projets de loi déposés à l’Assemblée nationale depuis plus de 10 ans
51 J.Pluvinage, Les systèmes de production céréales-élevage et la gestion du risque dans les zones sèches méditerranéennes. Thèse de doctorat, Montpellier, 1995.
52 J.Berthelot,Les trois aberrations des politiques agricoles, Le Monde diplomatique septembre 2003.
53 L’on doit noter, une forte instabilité des collectifs de travail entre 1962 et 1987, et les multiples réformes chaque ont entraîné chaque fois, un changement d’assiette foncière, des modifications
des statuts des collectifs de producteurs, conditions non idéales pour enraciner les hommes à la terre et accumuler une expérience professionnelle et des savoirs agricoles. Au cours des années 1990,
les droits de jouissance ont fait l’objet de marchandages au profit essentiellement d’entrepreneurs (urbains ou ruraux), de cadres politiques ou de commerçants fortunés.
pour régler définitivement le sort des terres du domaine privé de l’Etat n’ont jamais été examinés, et tout se passe comme si l’on laissait les rapports de force (peu favorables aux petits
exploitants et aux salariés agricoles) décider sur le terrain des modalités réelles d’appropriation des terres publiques54. Ce choix est contraire au développement d’une agriculture durable
confrontée à des défis stratégiques par rapport à la globalisation.
La dualité entre un développement agricole entrepreneurial (avec des entreprises pouvant s’adapter à la concurrence internationale), et un développement rural chargé de prendre en compte tout ce qui
n’est pas « rentable » nous semble s’opposer à un développement économique beaucoup plus large, valorisant ressources humaines et territoriales. Ce second choix nécessite une réflexion renouvelée,
tant sur les positions de négociation par rapport à l’économie mondialisée, que sur les modalités de la politique agricole et alimentaire de l’Algérie.
Il s’agit ici d’entretenir un territoire (il faut lutter contre le désert au sens premier du terme) , maintenir en état, à côté d’une économie pétrolière performante, un patrimoine national fondateur
de l’Algérie moderne (les anciennes terres coloniales devenu patrimoine public national), améliorer les emplois en milieu rural dans certaines régions pour lesquelles il n’y a aucune autre
perspective, et enfin accroître la production nationale dans un objectif de conquête de la sécurité alimentaire.
54 Ce processus est en cours y compris sur les terres de parcours (de nature collective) qui sont de fait contrôlées par les grands propriétaires de troupeaux. Notons que les terres de parcours
représentent plus de 30 M d’ha .
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